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Posts Tagged ‘Bernard Falaise’

De Paul Choinière

La première chose que l’on entend, lorsque les lumières s’éteignent sur la scène de Poursuite, c’est : « Ça roule ! » À cet instant, un étonnant dispositif scénique se met en marche, qui se révèle être une magnifique machine à fabriquer des images.

Dès les premiers ronrons de cette machine, apparaissent des images angoissantes, dignes des films expressionnistes allemands, où l’on voit un vieil homme, visiblement troublé par l’angoisse – à moins que ce ne soit par le remord -, se faire assassiner par un inquiétant personnage qui surgit de l’ombre. Cette scène est baigné d’un sourd silence que vient interrompre brusquement le fatal dénouement. Ces images inaugurales, qui apparaissent sur un écran de papier, proviennent en fait d’un théâtre de marionnettes filmé par une caméra vidéo.
À cette scène originelle, succède l’enquête que mène le reporter Jocelyn auprès de l’énigmatique marionnettiste Grödna Kirovograd, pour tenter d’élucider le meurtre d’un juge. Le timoré reporter est vite éclipsé par l’exubérante Grödna Kirovograd qui se presse d’emplir la scène de ses délires existentiels et métaphysiques. Personnage excentrique, fantasque, mythomane, Grödna Kirovograd accapare promptement le devant de la scène, jusqu’à faire écran devant les machines à images. Cette prise en otage du récit par l’extravagante Grödna Kirovograd, si elle semble au premier abord improductive, se révélera finalement être un délire contrôlé, mais avec cette vertigineuse maestria particulière aux sorcières, qui, tout au long de leurs savantes incantations, s’efforcent de maîtriser des forces aussi puissantes que capricieuses.
Ce qui étonne et séduit, dans le spectacle présenté par Marcelle Hudon et ses complices – Marcelle et Louis Hudon au jeu et à la manipulation des marionnettes, des lumières et des ombres, Nathalie Bujold à la caméra vidéo en direct, Manon Labreque aux images pré-filmées, Bernard Falaise et Martine H. Crispo aux diverses musiques -, c’est qu’il fait disparaître les frontières qui habituellement départagent la haute-technologie et le bricolage, le moderne et l’ancien, le grand et le petit. Le dispositif scénique de Poursuite ressemble aux premières machines cinématographiques et il semble que l’on ait laissé ouverte – par une inadvertance toute calculée sans doute – la porte qui habituellement dissimule la mécanique de la machine magique au regard des spectateurs. Effectivement, c’est là une autre frontière que ce spectacle fait disparaître, celle qui habituellement cache les mécanismes qui produisent les images ; ici la machine est le spectacle.
C’est là le talent le plus impressionnant de Marcelle Hudon. Elle joue si habilement des frontières qui séparent les choses qu’il reste difficile de savoir si elle les fait disparaître ou si elle joue malicieusement à mettre le maître au service du valet – comme lorsqu’elle met la haute-technologie au service du bricolage par exemple ou les acquis de la modernité au service de l’évocation des charmes de l’ancien temps.
Un dernier mot à propos des mains de Marcelle Hudon ; vedette multi-instrumentistes de ce spectacle, d’abord travailleuse de l’ombre au service des marionnettes, elle passe à l’avant-scène lors d’un numéro de «théâtre de main», pour finir par s’envoler majestueusement alors que Grödna Kirovograd lâche la bride à sa prodigieuse imagination.
Pour finir je voudrais souligner le formidable apport de la musique. On peut dire de cette dernière ce que l’on a dit du spectacle : à la fois ancienne et nouvelle, discrète, efficace et géniale – dans le sens d’ingénieuse et de brillante.

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